On a beau tourner la question dans tous les sens, ratiociner sur le nouvel équilibre des pouvoirs dans la V^e République, applaudir, ou siffler, le parlementarisme débridé dans lequel nous baignons, force est de reconnaître que jamais la fonction présidentielle n’a été aussi fragilisée qu’au cours de cet interminable deuxième semestre de l’année 2024. Emmanuel Macron, dans une forme de légèreté suicidaire, a fabriqué lui-même la corde qui pourrait bien le pendre, celle de la dissolution et de ses funestes conséquences.

Dans le nouvel épisode que nous vivons a surgi un étonnant paradoxe qui donne à cette fin de règne à mèche lente une dramaturgie folle. Ainsi, l’homme qui a fait roi ce prince vibrionnant et exalté, en 2017, celui qui lui a donné une légitimité politique incontestable, François Bayrou, baron de l’extrême centre et des alpages pyrénéens, pourrait bien être son ultime bourreau.

Pas un gentil collaborateur

En le nommant Premier ministre, contraint et forcé, presque le revolver sur la tempe, le président a dévoilé au grand jour son inquiétante précarité politique. « Emmanuel le Vulnérable » a donc livré son sort à celui de son parrain, qui n’est ni un perdreau de l’année ni un béni-oui-oui. Tous ceux qui connaissent le maire de Pau savent qu’il est entré à Matignon les armes à la main et qu’il n’a pas l’intention de jouer les gentils collaborateurs. Il l’a fait savoir urbi et orbi. Il n’a pas l’âme d’un chambellan.

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Parrain multicarte

Autre paradoxe de cette séquence troublante : François Bayrou, de par son parcours politique, n’est un pestiféré ni pour le Parti socialiste ni pour le Rassemblement national. N’a-t-il pas appelé à voter pour François Hollande en 2012, provoquant la fureur des sarkozystes ? N’a-t-il pas apporté son parrainage et les voix d’élus de son parti, en 2022, pour que Marine Le Pen puisse se présenter à l’élection présidentielle ? Ce genre de faveurs ne s’oublie pas. François Bayrou est donc un parrain multicarte, position idéale pour jouer les négociateurs à l’Assemblée nationale et desserrer l’étreinte dans laquelle son propre camp est en voie d’étouffement.

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Il doit être un des rares hommes politiques à pouvoir faire appliquer cette idée, aussi mirifique que saugrenue, du deal « pas de 49.3 contre pas de censure ». Mais sa meilleure carte provient de l’inexorable impopularité du locataire de l’Élysée. En effet, si Emmanuel Macron veut avoir une chance de finir dignement son mandat, n’a-t-il pas tout intérêt à laisser les commandes de la gestion du pays à son sourcilleux et indépendant parrain, au moins pendant les six prochains mois, sans chercher à le déstabiliser, comme l’a vécu le très honorable Michel Barnier ?

En finir avec ce management de vainqueur alors qu’on vient d’essuyer une Bérézina historique, une défaite de Waterloo qui a fait voler en éclats ses propres troupes. Qui peut encore aujourd’hui se déclarer macroniste sans apercevoir le trou noir du précipice devant lui ? C’est ce que Bayrou, le biographe d’Henri IV, a compris. Il vient sauver le prince du désastre, dans la meilleure des positions, celle du régent.